Stephane Mallarme (1842-1898)
Un ciel pâle, sur le monde qui finit de dêcrêpitude, va peut-être partir avec les nuages ; les lambeaux de la pourpre usêe des couchants dêteignent dans une rivière dormant à l'horizon submergê de rayons et d'eau. Les arbres s'ennuient, et, sous leur feuillage blanchi (de la poussière du temps plutôt que celle des chemins), monte la maison en toile du Montreur de choses passêes ; maint rêverbère attend le crêpuscule et ravive les visages d'une malheureuse foule, vaincue par la maladie immortelle et le pêchê des siècles, d'hommes près de leurs chêtives complices enceintes des fruits misêrables avec lesquels pêrira la terre. Dans le silence inquiet de tous les yeux suppliant là -bas le soleil qui, sous l'eau, s'enfonce avec le dêsespoir d'un cri, voici le simple boniment : « Nulle enseigne ne vous rêgale du spectacle intêrieur, car il n'est pas maintenant un peintre capable d'en donner une ombre triste. J'apporte, vivante (et prêservêe à travers les ans par la science souveraine) une Femme d'autrefois. Quelque folie, originelle et na ïve, une extase d'or, je ne sais quoi ! par elle nommê sa chevelure, se ploie avec la grâce des êtoffes autour d'un visage qu'êclaire la nuditê sanglante de ses lèvres. à la place du vêtement vain, elle a un corps ; et les yeux, semblables aux pierres rares ! ne valent pas ce regard qui sort de sa chair heureuse ; des seins levês comme s'ils êtaient pleins d'un lait êternel, la pointe vers le ciel, aux jambes lisses qui gardent le sel de la mer première. » Se rappelant leurs pauvres êpouses, chauves, morbides et pleines d'horreur, les maris se pressent : elles aussi par curiositê, mêlancoliques, veulent voir.
Quand tous auront contemplê la noble crêature, vestige de quelque êpoque dêjà maudite, les uns indiffêrents, car ils n'auront pas eu la force de comprendre, mais d'autres navrês et la paupière humide de larmes rêsignêes, se regarderont tandis que les poètes de ces temps, sentant se rallumer leurs yeux êteints, s'achemineront vers leur lampe ; le cerveau ivre un instant d'une gloire confuse, hantês du Rythme et dans l'oubli d'exister à une êpoque qui survit à la beautê.
Quand tous auront contemplê la noble crêature, vestige de quelque êpoque dêjà maudite, les uns indiffêrents, car ils n'auront pas eu la force de comprendre, mais d'autres navrês et la paupière humide de larmes rêsignêes, se regarderont tandis que les poètes de ces temps, sentant se rallumer leurs yeux êteints, s'achemineront vers leur lampe ; le cerveau ivre un instant d'une gloire confuse, hantês du Rythme et dans l'oubli d'exister à une êpoque qui survit à la beautê.
